Nul doute si le cinéma hexagonale était une garde-robe, qu’on y trouverait, en place de choix, une paire de chaussures dépareillées... Cette idée redoutable de simplicité a certainement contribué à inscrire Le Grand Blond avec une Chaussure Noire au panthéon des comédies populaires Française.
Yves Robert n’a rien tourné depuis trois ans son dernier long-métrage en date est Clérambard en 1969 mais le cinéaste n’a pour autant pas perdu contact avec le monde du cinéma : Il continue en effet à faire le comédien chez d’autres, et il a surtout rencontré le succès en tant que producteur, avec Alain Poiré pour Le Distrait en 1970, première œuvre signé Pierre Richard, acteur qu’il avait contribué à populariser en lui donnant son tout premier rôle notable, en 1968, dans Alexandre le bienheureux.
Avant de faire Le Grand Blond avec une Chaussure Noire, Yves Robert avait comme première idée de raconter l'histoire sombre d'un agent secret vivant d'un coté sa vie tranquille de bon père de famille, et de l'autre lorsque son travail l'appel celui-ci est mandaté pour tuer. L’idée d’une comédie située dans le milieu de l’espionnage se développe vaguement dans son esprit, le cinéaste consulte Jean-Loup Dabadie qui lui recommande un scénariste à la réputation grandissante, Francis Veber qui avait travaillé pour la première fois pour le cinéma la même année, pour Il était une fois un Flic... de Georges Lautner produit par Gaumont. Yves Robert appréciant ce polar teinté de comédie, demande à Alain Poiré producteur du film, de travailler avec ce jeune scénariste.
Les deux hommes se rencontrent, Yves Robert se confit alors à Francis Veber sur son futur projet, le cinéaste veut réaliser un film d'espionnage parodique en précisant à son interlocuteur "Ce qui m'intéresserait, c'est de voir par exemple un type à l'aéroport d'Orly, il fait un geste dans un salon d'attente, mais il ne sait pas que ce geste est un espèce de code qui va déclencher plusieurs services d'espionnage. Et dans la salle quand il fait le geste, il y a les services secrets Russes, Américains etc etc… Tout le monde se fige. Et ce type devient brusquement victime de ces services secret, il vit alors un cauchemars". En réfléchissant, le scénariste n'est pas très enthousiaste par cette idée qui reste pour lui assez proche de l'esprit de La Panthère Rose et de son célèbre inspecteur Clouseau, de plus Francis Veber ne veut pas se retrouver avec des comédiens à accents comme Peter Ustinov pour l'accent Russe ou Jess Hahn (Les Grandes Gueules) l'Américain de service du cinéma Français de l'époque.
Francis Veber trouve qu'il a plus intéressant à faire, en prenant un patron d'un service d'espionnage Français et son adjoint, celui-ci désire être calife à la place du calife. Et c'est cette lutte de grand reptile qui emmène "le Grand Blond". Justement, quel comédien pour interpréter le fameux "Grand Blond" ?! Pour le candide François Perrin, Yves Robert pense originellement à Claude Rich. Peu convaincu que ce dernier soit le comédien approprié, le scénariste souffle à son cinéaste le nom de Pierre Richard. Gaumont n'est pas très enthousiaste sur ce choix, le réalisateur menace alors de changer de société de production si son acteur n'a pas le premier rôle.
Manifestement, Gaumont insiste également pour que le rôle de Maurice soit tenu par Jean Lefebvre, ce qui aurait probablement affaibli ce personnage. Pour incarner Christine, Yves Robert pense d’abord à Anny Duperey, mais le cinéaste est charmé par sa rencontre avec Mireille Darc, motivée par le producteur Alain Poiré.
Affiche Américaine |
L'écriture de La Boîte d'Allumette (en référence peut-être à La Mort aux trousses), titre initial du Grand Blond avec une Chaussure Noire, est abandonné très rapidement, Francis Veber écrit la première monture du scénario tout seul en quatre mois, car de son côté le cinéaste collabore sur Les Malheurs d'Alfred de Pierre Richard. Pour finaliser l'écriture les deux hommes partent dans le sud au Moulin de Guéville (Nom de la société de production créée en 1959 par Yves Robert et sa femme Danièle Delorme). Dans le livre Un homme de Joie le réalisateur se confie sur Francis Veber : "Il est très intelligent, Francis, c’est un personnage à sang-froid, il me fait penser à un samouraï, à un mathématicien de l’écriture, un vaudevilliste tragique."
Contrairement aux attentes de Pierre Richard : "Après la première projection, glaciale, j’ai dit à mes copains : "Je crois que j’ai fait mon dernier film, je suis mort cinématographiquement parlant", Le Grand Blond avec une Chaussure Noire rencontre un immense succès, et deux ans plus tard, sa suite fut tournée : Le Retour du Grand Blond. Celle-ci n'aurait jamais pu voir le jour si le final envisagée avait été conservée : Perrin y était fusillé à l’aéroport d'Orly, tandis que Perrache sauvait Milan, lui avouait son homosexualité et s’envolait avec lui ! Yves Robert avoue avoir tourné cette suite pour des raisons principalement commerciales, son succès garanti lui permet de produire d’autres projets plus difficiles à monter
Le chef des services secrets français, le colonel Louis-Marie-Alphonse Toulouse, est compromis par son adjoint le colonel Bernard Milan dans une affaire d'agent double. Cette machination menée par son subalterne a pour objectif de le discréditer afin de prendre sa place. Mais le vieux sage ayant découvert ses plans diaboliques met en place un piège pour faire tomber son subordonné. Pour cela, il décide d'utiliser un inconnu, "n'importe qui, un homme dans la foule" et de faire croire à Bernard Milan que l'inconnu en question est un redoutable agent secret destiné à régler cette affaire d'agent double. Cet inconnu se nomme François Perrin, un violoniste étourdi. Pourquoi lui par hasard à Orly ?! L'homme de confiance de Louis-Marie-Alphonse Toulouse, Perrache, le choisi parce qu'il porte une chaussure noire à un pied et une marron à l'autre. Et il le fait protéger discrètement par deux agents secrets : Poucet & Chaperon. Bien sûr Bernard Milan tombe immédiatement dans le piège et déploie une équipe d'espions destinée à épier les moindres gestes de François Perrin...
Dès son ouverture Le Grand Blond avec une Chaussure Noire montre aux spectateurs une réalité à la tonalité sérieuse, avec l'interrogatoire musclé sous détecteur de mensonge d'un espion Français par la police New-Yorkaise sur fond de French Connection, puis de retour à Paris nous assistons à une lutte de pouvoir entre Louis-Marie-Alphonse Toulouse & son adjoint Bernard Milan. Ainsi le long-métrage bascule au moment de l’apparition des dîtes chaussures dans l'escalator de l'Aéroport d'Orly. Jusqu'ici nous avions donc droit au registre premier degré du Film d'Espionnage classique avec la fameuse "guerre de service", et en quelques secondes les chaussures dépareillées, l’air ahuri de François Perrin et enfin l’embrassade de Perrache ont emmené ce métrage vers le registre du comique sans que l'on aperçoit la moindre drôlerie à l'horizon.
Perrache : "Le type qu'on doit accueillir…"
Toulouse : "Oui ?"
Perrache : "Qui est-ce ?"
Toulouse : "Je ne sais pas."
Perrache : "Pardon ?"
Toulouse : "Je ne sais pas. Allez à Orly demain matin à 9h30 et choisissez."
Perrache : "Je ne comprends pas."
Toulouse : "Oui, choisissez. Prenez n'importe qui, un homme dans la foule, le plus anonyme possible. Celui que vous allez accueillir n'a aucune importance. C'est un prétexte. Ce qui compte, c'est que Milan morde à l'hameçon. Je peux vous dire précisément ce que vous allez chercher demain à l'aéroport, mon petit Perrache : un piège à cons."
Voici une récurrence forte dans l’œuvre d’Yves Robert. Ce cinéaste ne provoque jamais vraiment d’hilarité mais place avant tout son spectateur dans une atmosphère particulière, chaleureuse et absurde. Ses long-métrages sont finalement moins des comédies que de véritables fantaisies, dans lesquelles, pour peu qu’on y entre, on se sent particulièrement bien à l'aise.
Perrache : "Il y avait un grand noir à Orly. Un grand noir avec un loden vert. J'ai préféré un grand blond avec une chaussure noire à un grand noir avec un loden vert."
Toulouse : "Dites-moi, mon petit vieux, pour faire de la littérature, attendez la retraite."
L'une des forces de ce long-métrage vient certainement de cette association entre la qualité d’écriture, assez indiscutable, de Francis Veber et la réalisation d’Yves Robert. Dans la vision développée par le scénariste et dans son traitement des différents personnages, nous retrouvons quelque chose d'angoissant, dont le cinéaste n’obstrue pas mais dont il parvient tout de même à désamorcer pour en faire ressurgir le potentiel de légèreté. Car au milieu de tous ces mensonges d'état et de toutes ces perverses manipulations, l’exemple le plus frappant est probablement celui de ce pauvre Maurice, beauf en survêtement, mari trompé, ami trahi, frôlant la dépression en naviguant au milieu des cadavres... mais n’en demeure pas moins un remarquable ressort comique
De toutes les différentes confrontations, celle qui met aux prises Jean Rochefort & Bernard Blier sont des plus succulentes, dans les non-dits, les allusions perfides, les suggestions fielleuses et une faux-culerie gratte-ciel. Celle qui oppose graduellement Perrache à son supérieur hiérarchique Louis-Marie-Alphonse Toulouse n'est pas mal non plus. Paul Le Person trouve là un de ses meilleurs rôles (avec celui d'Alexandre le Bienheureux, du même Yves Robert).
Toulouse : "Bernard?"
Milan : "Oui, monsieur?"
Toulouse : "Vous avez reçu ma caisse de vin?"
Milan : "Oui, je voulais vous remercier. Il ne fallait pas"
Toulouse : "Je me suis dit: Qu'est-ce que je pourrais bien offrir, pour la Saint-Bernard?. J'avais d'abord pensé a un tonnelet de rhum et puis je me suis souvenu que notre ami Milan était amateur de bon vin."
Milan : "Mais une caisse de Mouton-Rotschild !. Et du 70 !"
Toulouse : "Je le commande sur pied. Mettez-le dans une bonne cave et buvez-le a ma santé, dans dix ans !"
Milan : "J'espère que nous le boirons ensemble, monsieur"
Milan : Oui, monsieur
Toulouse : "Bernard?"
Milan : "Oui, monsieur?"
Toulouse : "Vous avez reçu ma caisse de vin?"
Milan : "Oui, je voulais vous remercier. Il ne fallait pas"
Toulouse : "Je me suis dit: Qu'est-ce que je pourrais bien offrir, pour la Saint-Bernard?. J'avais d'abord pensé a un tonnelet de rhum et puis je me suis souvenu que notre ami Milan était amateur de bon vin."
Milan : "Mais une caisse de Mouton-Rotschild !. Et du 70 !"
Toulouse : "Je le commande sur pied. Mettez-le dans une bonne cave et buvez-le a ma santé, dans dix ans !"
Milan : "J'espère que nous le boirons ensemble, monsieur"
Toulouse : Pourquoi pas?
Milan : Oui, monsieur
Au début du générique de fin, on peut lire à l'écran : "Chacun a droit au respect de sa vie privée" Article 9 du code pénal". En droit, cet article n'existe pas mais la protection de la vie privée est garantie depuis une loi de 1970 par l'article 9 du code civil - Et pas du code pénal. Car le thème principal du Grand Blond avec une Chaussure Noire tourne autour de la violation de la vie privée.
La formidable insouciance du Grand Blond avec une Chaussure Noire, sa fraîcheur inaltérable, vient avant tout de la présence de Pierre Richard. Sorte d'enfant illégitime de Buster Keaton, ce comédien tient une place particulière dans notre mémoire cinématographique hexagonale. Yves Robert utilise à la perfection sa composition de grand escogriffe farfelu qui impressionne aussi bien par son sens du rythme que par sa tendresse naïve qui se dégage de ses rêveries gaffeuses.
Ainsi à la manière de Jacques Tati, Pierre Richard marquera à jamais toute une génération de cinéphile le comédien aura l’occasion de revenir de nouveau, sous la direction de Francis Veber avec la même identité de François Perrin dans La Chèvre ou Les Fugitifs, autres grands succès populaires Français.
François Perrin : "J'ai les pieds glacés."
Christine : "Ce n'est pas grave…"
François Perrin : "C'est une journée bizarre."
Christine : "Pourquoi ?"
François Perrin : "Ça a commencé le matin. Les copains m'ont cloué mes chaussures devant ma porte dans un hôtel de Munich."
Christine : Ah bon…
François Perrin : "Ils me font toujours des blagues. J'avais sorti mes chaussures pour qu'on me les cire et ils me les ont clouées. J'ai été obligé de rentrer à Paris avec une chaussure marron et une chaussure noire. Puis il y avait de la crème dentifrice dans ma pâte à raser et de la pâte à raser dans ma crème dentifrice… Et ça n'étonne personne. Puis après je suis allé au Bois avec un copain et il a eu des visions. C'est un type normal d'habitude. Sportif, carré. Pas du tout le genre à délirer. Tout d'un coup il entend des voix. Puis ce soir au concert, j'ai claqué une corde. Puis maintenant je me retrouve dans un lit avec toi, puis tu m'embrasses, puis j'ai les pieds glacés."
Un agent : "Ça y est, ils baisent."
Francis Veber décrypte toute la mécanique mise en place par les services d'états pour compliquer la vie simple de notre anti-héros, les situations absurdes sont très simples. L'aide apporté par une distribution éclatante est centrale, avec excusez du peu, la magnifique Mireille Darc et sa robe qui dévoile le haut de ses fesses, Bernard Blier qui observe médusé sa proie lui échapper, Jean Rochefort impérial incarne le machiavélique Louis-Marie-Alphonse Toulouse. Et Jean Carmet d'une drôlerie extraordinaire subit toute les situations qui s'adressaient à François Perrin.
Outre ses têtes d'affiche quatre étoiles, ce Grand Blond avec une Chaussure Noire offre également un beau trombinoscope de notre cinéma des années 70. Avec le pied-noir Robert Castel (Deux Hommes dans la Ville, Il était une fois un Flic...), Jean Obé (Moi y'en a vouloir des sous), Maurice Barrier (Les Fugitifs, Les Spécialistes) à l'aspect très "Bronsonien". Et Robert Dalban (Un témoin dans la ville, Les Tontons Flingueurs, Le Pacha...) ce comédien est l'un "des seconds rôles" les plus représentatif du cinéma Français avec pas moins de deux cent titres. L'acteur connaissait beaucoup de monde et avait ses habitudes au sein de la maison Gaumont. N'oublions pas Yves Robert qui fait une apparition en chef d'orchestre.
Les tours de cartes du générique sont réalisés par Gérard Majax, également présent dans le film. Le magicien distribue les cartes et les manipule a sa guise.
Si le cinéma français est une garde-robe, on y trouverait également une robe de soirée noire élégante, avec son interminable décolletée dans le dos. Cette tunique dessinée spécialement pour Le Grand Blond avec une Chaussure Noire par le couturier Guy Laroche, est à ce point entrée dans la légende du 7ème Art qu’elle a désormais trouvé place au Musée du Louvre. Grâce à cette robe, les spectateur imprimèrent durablement dans la conscience collective une partie du succès de ce long-métrage.
Les différents décors sont signés Théobald Meurisse, frère du comédien Paul Meurisse.
Toulouse : "D'un
côté Milan avec toute sa trouille, de l'autre le Grand Blond avec la
chaussure noire. Cette histoire devrait se finir par un règlement de
compte comme dans les bons westerns."
François Perrin virevolte avec grâce et gaucherie mêlées, au rythme de la Sirba de Vladimir Cosma, avec Gheorge Zamfir à la flûte de pan. Si cette mélodie fait désormais partie des ritournelles les plus connues du cinéma Français, la manière dont le compositeur la fait varier selon les ambiances (dont le morceau "Doina", façon Western à la Ennio Morricone) a encore aujourd’hui de quoi réjouir nos oreilles mélomanes. Nous rappelant ainsi les amusantes variations de Michel Magne autour du morceau principal des Tontons Flingueurs. Lors des projections privées Francis Veber a insisté auprès du producteur Alain Poiré pour supprimer entièrement cette musique qui lui semblait "redondante et empêchait tout effet comique." A tel point que le label partenaire de Gaumont, les Éditions Hortensia n'ont pas voulu sortir le disque à l'époque...
L'un des éternels classiques du cinéma hexagonale ! Cette comédie d'espionnage absurde aux dialogues décalés et aux personnages haut en couleur sont emportée par la partition inoubliable de Vladimir Cosma, par l'énergie de ses interprètes (Jean Rochefort & Bernard Blier sont une fois de plus royaux) et le mythique dos nu de Mireille Darc.
Milan [mourant] : "Perrache... Perrache... Le Grand Blond avec la chaussure noire, qui est-ce ?"
Perrache : "C'est un piège à cons, Monsieur."
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