Yakuza moderne : Okita le pourfendeur est avec Guerre des gangs à Okinawa le long-métrage fondateur qui a permis à Kinji Fukasaku de redéfinir le style du Yakuza-Eiga, de casser tous les codes du Ninkyo Eiga pour mieux danser sur sa tombe. Fort d'un succès commercial à la clé, le cinéaste va alors consacrer l'essentiel de ses efforts, jusqu'à la fin des années 70, au développement de l'univers de la pègre, notamment grâce à la saga Combat sans code d'honneur.
"Je m'appelle Okita Isamu. J'aime la baston et les filles. Mais je perds toujours au jeu. Il parait que je suis né un mauvais jour. Le 15 Août 1945, le jour de la capitulation. C'est une date qui me porterait la poisse. C'est des conneries. J'ai pas choisi de naître. C'est ma mère qui m'a pondu. J'ai jamais connu mon père. Ma mère me laissait seul, pour aller tapiner. Quand j'étais adolescent, elle bossait dans un bouge. Elle n'avait plus l'âge de tapiner. Quand elle buvait, elle était pitoyable. Dans ma vie j'ai beaucoup cogné. J'ai même cogné ma mère. Quand j'y repense j'ai la nausée. Et puis ma mère est morte. Un soir qu'elle était bourré elle a fini dans la rivière. J'ai fait deux allers-retours en centre de redressement. Et puis j'ai formé une bande. On a tout fait : Racket, chantage, et revente aux bordels de putes qu'on avait formées. A l'époque, le caïd Takigawa domine la ville. Il voulait une partie de mes bénéfs. J'avais peur. Mais j'aimais pas ce frimeur. Je lui ai tenu tête. Les yakuzas font la loi même en taule…"
Okita Isamu, un yakuza fauteur de troubles tout juste sorti de prison et découvre que le Japon a connu bien des changements lors de ses années d'enfermement. Prêt à tout pour se refaire une place dans le milieu, il se crée des inimités avec l'aide d'une nouvelle bande. Très violent, il va jusqu'à provoquer le parrain de son propre clan…
Kinji Fukasaku est un peu comme une usine à Yakuza-Eiga, un an après Guerre des gangs à Okinawa, le cinéaste nous revient dans les salles obscures Nippones avec Yakuza Moderne : Okita le pourfendeur.
Ce long-métrage a tout du vilain petit canard. D'une part il casse les codes du genre habituel, se permet quelques libertés visuelles et narratives, d'autre part l'histoire linéaire, gravite uniquement autour de son anti-héros, nous sommes loin des portraits sociétaux (le cadre social est quand même abordé) à la galerie de personnage imposante. Yakuza Moderne : Okita le pourfendeur n'est pas tiré d'une histoire vraie, le cinéaste prend donc ses aises, notamment dans l'introduction d'une histoire d'amour au romantisme touchant. La relation conflictuelle du "héros" avec la prostituée tranche avec l'univers habituel très masculin de Kinji Fukasaku dans son approche du genre. Okita devient petit à petit mélancolique avec cette ancienne victime, alors née une relation amour / haine entre ces deux protagonistes. Ils vivent une idylle façon "je t'aime et moi non plus", mais le cinéaste nous montre aussi à quel point son caïd s'est empêtré dans un cycle de violence duquel il ne peut sortir, fatalement, sans se renier totalement.
Okita est un voyou qui ne respecte aucune règle. Et ce comportement colérique, orageux n'a pas sa place au sein des yakuzas. Cette distance entre sa façon de voir les choses et les codes à respecter s'expliquent aisément par son enfance difficile mais surtout par son passage en prison. La détention l'a forcé à devenir plus violent chaque jour pour se faire respecter. Cherchant à agir en électron libre au nez et à la barbe des caïds de son quartier, ce chien fou va se forger une réputation pour le moins complexe à tenir : Celui d'un homme avide d'expansion mais au tempérament impulsif et autodestructeur. Cette autodestruction se retrouve également dans la relation qu'il lie avec la prostituée, seul personnage capable de le calmer réellement.
En effet, tout chez lui respire la défaite d'après-guerre. Fils de prostituée au père inconnu, seuls les bagarres, les filles et le jeu - Ironiquement il perd toujours. Okita ne vit donc que pour l'action qui se traduit chez lui par la violence, toujours partant pour les conflits. Entouré d'autres concurrents mafieux comme lui, en plein expansion de son territoire, ce tempérament volcanique va se retrouver au milieu d'un conflit inter-clanique aux méthode raisonnables où ses excès n'ont pas leur place. Il sera soutenu par l'un des chefs de clan car sa jeunesse bouillonnante s'exprime sans limite et trouve un écho à son histoire, tandis qu'Okita sera pourchassé par l'autre - Voulant lui faire respecter des règles trop étroites pour qu'il s'y conforme.
Sa relation avec les différents chefs yakuzas (Ces derniers lui passant ses excès dans un premier temps, car ils reconnaissent leur jeunesse en lui, avant de vouloir s'en débarrasser) parle bien de l'évolution de la société Japonaise : Lui, Okita, représente l'incapacité à s'adapter à cette évolution tandis que les chefs, et leur nouvelles méthodes "politiques", représentent l'évolution du milieu criminel. Car par l'intermédiaire de cet anti-héros symbolisant à lui seul et avec force l'évolution tragique de la société Japonaise d'après-guerre, laissant ainsi les marginaux sur le bas-côté tandis que ceux qui ont le pouvoir continuent à prospérer. Okita lutte contre son environnement Kinji Fukasaku dessine un portrait sans concession d'un milieu criminel gangrené par sa forme hybride, mélange indigeste entre le Japon féodal (rigidité du code d'honneur) et modernité - Lutte pour le pouvoir, et de l'argent au détriment de l'individu et … de l'honneur.
La mise-en-scène énergique de Kinji Fukasaku trouve écho à l'ambition démesuré et la violence dont fait preuve son antihéros : Plans tournoyant, rapidité des raccords et bruit urbain de Tôkyô omniprésent.
Quant aux codes du genre, ceux-ci sont respectés (sortie de prison, construction d'un clan, embrouilles avec les yakuzas), le cinéaste va même jusqu'à se moquer des principes séculaires de ce milieu mafieux - la traditionnelle scène de la phalange, l'intronisation -, le personnage éponyme se verra à la fois craint et respectés. Le style du cinéaste est à mi-chemin entre le documentaire et l'expérimental, apportant ainsi un rythme fiévreux son récit, avec une réalisation qui sème le chaos lors de nombreux combats ponctuant son histoire.
Bunta Sugawara (la saga Combat sans code d'honneur, Police contre Syndicat du Crime) véritable leader naturel et charismatique, rend Okita aussi impressionnant que maladroit. A cause de la courte durée du métrage, l'acteur se croit obliger d'en faire des tonnes en termes de mimiques pour montrer le manque d'éducation de son personnage. Simple d'esprit, il n'est que la part combative du yakuza tandis qu'un yakuza complétiste se doit de connaître la politique et le business, comme le chef de clan interprété par Noboru Ando (Le cimetière de la morale, Guerre des gangs à Okinawa) et sa fameuse cicatrice sur le visage.
La composition est signé Toshiaki Tsushima (La saga de Combat sans code d'honneur, Street Figther). Ces musiques alternent entre mélancolie et rythmes pop
Kinji Fukasaku s'avère plus clair dans son propos sur les yakuzas, à travers son personnage d'Okita, charismatique et emblématique, celui-ci préfigure l'image de l'anti-héros crépusculaire et violent du cimetière de la moral par son nihilisme radical. Yakuza Moderne : Okita le pourfendeur reste un long-métrage plaisant mais mineur dans l'immense filmographie de son auteur, à découvrir pour les plus curieux d'entre-vous…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire