José Giovanni signe ici un requiem contre la peine de mort fait de force tranquille. Deux Hommes dans la Ville est une véritable petite pépite du cinéma Français des années 70, où chaque ligne de dialogue est à encadrer sur les murs d'enceintes d'une prison.
Le cinéaste est un ancien collabo et repris de justice condamné à mort pour trois assassinats celui-ci échappe de peu à la guillotine le 3 Mars 1949 où il est gracié par le président Vincent Auriol. Quelques années après sa sortie de prison, l'ex-taulard devient un écrivain à succès grâce Au Trou, où il raconte sa tentative d'évasion. En 1958, le romancier rentre dans la prestigieuse collection "série noire" avec Classe tout risque, Le Deuxième souffle… Ses romans noirs le conduisent naturellement au cinéma, ou José Giovanni occupe alors plusieurs postes tout au long de sa carrière : Scénariste, dialoguiste et réalisateur dont il signe des classiques populaires comme Le Ruffian, La Scoumoune, Dernier domicile connu…
Le projet de Deux Hommes dans la Ville, est née suite à l'exécution en 1972 de Roger Bontems, condamné à la peine de mort. Ce malheureux avait comme avocat à la Cour Robert Badinter, révolté par la sentence de cet homme qui n'avait tué personne, le futur garde des sceaux décrit l'année suivante le procès et ses suites dans un livre intitulé L'Exécution. Cet événement marque le début de son long combat contre la peine capitale qui sera abolie le 9 Octobre 1981 par un vote de l'Assemblée Nationale.
"Et derrière ses murs, j'ai vu une machine qui tue"
Ses mots utilisés lors du réquisitoire de Maitre Robert Badinter sont inspirés du long-métrage de José Giovanni.
Affiche Serbo-Croate. |
Une fois l'écriture du scénario terminé, José Giovanni propose à son ami Lino Ventura le rôle de Germain Cazeneuve, l'éducateur pour délinquant, mais le comédien décline trouvant l'histoire manichéenne à son goût. Le cinéaste se tourne finalement vers Jean Gabin, l'acteur est alors en plein tournage de L'Affaire Dominici… Le patriarche du cinéma Français accepte la proposition de José Giovanni. Le personnage de Germain Cazeneuve est réécrit pour l'occasion, pour correspondre à l'âge de son interprète. Quant à Gino Strabliggi, le réalisateur pense immédiatement à Alain Delon. Le comédien accepte ce rôle, et devient même producteur de Deux Hommes dans la Ville.
Lors de la phase d'écriture, une brouille survient entre José Giovanni & Daniel Boulanger, dialoguiste / scénariste de Philippe de Broca (Cartouche, L'homme de Rio). L'écrivain quitte alors le navire, laissant le soin au cinéaste de rédiger les dialogues.
Le tournage démarre sous de mauvais hospices. Une semaine avant le début des prises de vues, Jean Gabin, qui n'est pas à Paris, se repose chez lui en Normandie. Un matin sa femme Dominique le retrouve blanc comme un linge, ne prononçant pas un mot, replié dans son lit. Cette situation inquiétante va perdurer pendant des heures, voir pendant deux jours, l'acteur est dans l'impossibilité de parler… Sa compagne décide de l'amener sur la capitale pour l'emmener voir un spécialiste, en arrivant par l'autoroute de l'Ouest, Jean Gabin se remet alors à parler comme s'il ne s'était rien passé. Cette sérieuse alerte de santé a marqué le comédien sur Deux Hommes dans la Ville, celui-ci est pâle, ses traits sont marqués et son visage creusé.
Pour l'anecdote, Alain Delon producteur approuve le principe de la peine capitale. En 1981, quelques jours après son abolition, le comédien va se fendre d'une lettre ouverte à Maitre Robert Badinter, où celui-ci se dit encore favorable à cette méthode. Ironique, n'est ce pas ?!
Le tournage démarre sous de mauvais hospices. Une semaine avant le début des prises de vues, Jean Gabin, qui n'est pas à Paris, se repose chez lui en Normandie. Un matin sa femme Dominique le retrouve blanc comme un linge, ne prononçant pas un mot, replié dans son lit. Cette situation inquiétante va perdurer pendant des heures, voir pendant deux jours, l'acteur est dans l'impossibilité de parler… Sa compagne décide de l'amener sur la capitale pour l'emmener voir un spécialiste, en arrivant par l'autoroute de l'Ouest, Jean Gabin se remet alors à parler comme s'il ne s'était rien passé. Cette sérieuse alerte de santé a marqué le comédien sur Deux Hommes dans la Ville, celui-ci est pâle, ses traits sont marqués et son visage creusé.
Pour l'anecdote, Alain Delon producteur approuve le principe de la peine capitale. En 1981, quelques jours après son abolition, le comédien va se fendre d'une lettre ouverte à Maitre Robert Badinter, où celui-ci se dit encore favorable à cette méthode. Ironique, n'est ce pas ?!
Affiche Italienne |
"Plus jamais je ne pourrais voir la justice de la même façon. J'ai le sentiment d'avoir découvert une face cachée de la justice. Y'a l'appareil judiciaire, la procédures tout cet aspect presque théâtrale de LA justice et puis derrière tout ça…".
Germain Cazeneuve est un éducateur pour délinquants afin de les réinsérer dans la vie active à leurs sortie de prison. Le vieil homme se porte garant envers Gino Strabliggi, ancien truand condamné à douze ans de prison pour l'attaque d'une banque. Libéré avec deux ans d'avance grâce à son éducateur, l'ex-taulard retrouve sa femme Sophie, qui a patiemment attendu durant dix années… Malheureusement un inspecteur de police cherche à le refaire trébucher vers le coté obscur du grand banditisme.
Deux Hommes dans la Ville est un réquisitoire passionnant, malgré sa légère naïveté, contre le système judiciaire Français et la peine de mort. L'oeuvre de José Giovanni parvient avec une belle énergie finale, toute en retenue portant à assener un message radical qui étourdit quelque peu le spectateur. A notre époque la peine de mort en France semble lointaine, mais lorsque le long-métrage sort dans les salles de cinéma en 1973, elle est toujours d'actualité, et ce pour les huit années à venir. Il y a fort a parier, vu l'impact que ce film réussit toujours à provoquer aujourd'hui, qu'il a certainement fait couler beaucoup d'encre à l'époque de sa sortie.
"Périodiquement, et bien tristement, les grands quotidiens vous en parlent de nos prisons ; avec leurs suicides, de plus en plus fréquents, avec leurs mutineries, issus d'un désespoir soigneusement entretenu par un système décadent. Et puis, ignorant de dépeindre sous son véritable jour le véritable responsable de cette tragédie [...] monsieur l'avocat général s'est mis à disserter brillamment sur la peine de mort ! Il n'y a pourtant pas de quoi en être fier, nous, Français, de cet instrument de torture, ce hachoir, qui nous assimile davantage à un pays sous développé, qu'à la lumière du monde à laquelle nous prétendons !"
Le spectateur suit un ex-détenu poursuivi par la fatalité, les esprits condamnatoires, le malheur et les épreuves de la vie. Cet homme est poussé à commettre l'irréparable, à savoir le meurtre d'un policier obstiné qui le tourmentait, le harcelait et faisait de sa vie un véritable enfer. Cet inspecteur de police suivait son désir, avec la certitude de voir Gino Strabliggi replonger dans le gouffre aux damnés. Cette vision de José Giovanni s'explique par son exacerbation des institutions, le cinéaste est trop marqué par son passé pour conserver une distance critique envers la Justice.
En découvrant Deux Hommes dans la Ville, le spectateur pense bien évidemment aux Misérables de Victor Hugo, avec l'inspecteur Javert courant après qu'il croit être son ultime devoir, cette passion de la justice pourtant fourvoyée par sa rigidité inhumaine. Michel Bouquet incarne l'inspecteur de police Gointreau, un Javert moderne, plus antipathique, lancé au trousses d'un Valjean étrange, plus sanguin et moins humaniste, sous les traits d'Alain Delon. Cet acharnement à arrêter Gino Strabliggi, car ce policier ne veut pas croire à la possibilité d'une réelle réinsertion sociale pour l'ex-taulard et les anciens détenus en général… Un thème du cinéaste que nous retrouvons dans Les Grandes Gueules, de Robert Enrico.
"Chercher le criminel, et vous créerez le criminel" |
Le spectateur est devant une véritable histoire d'hommes et de fraternité, Gino Strabliggi considère Germain Cazeneuve comme un père, l'ancien détenu et son épouse sont invités à des moments de convivialité avec la famille de son éducateur, avec lequel ils sympathisent. Gino Strabliggi passe son temps à tenter de se défaire de ce sentiment profond de culpabilité, à la manière d'un Germain Cazeneuve, qui en a tant vu et qui pourtant s'accroche toujours, ne serait-ce pour sauver ses agneaux des griffes de leurs destins funestes. Cette dernière rencontre en dit long sur ces deux hommes qui s'excusent presque de n'avoir pas su aller dans un autre sens, le vieux éducateur pour délinquant de n'avoir pas réussi à le sauver de sa condition, Gino Strabliggi de n'avoir pas pu résister à sa propre part d'ombre.
C'est la justice, toujours elle, qui en fait le meurtrier, l'exemple de ce que la société rejette et rejettera, sans pardonner, sans chercher à comprendre… Cette relation entre sincère et touchante, atteint son apothéose lors de l'échange de regard que se livrent ces derniers en fin de bobines. Plus puissant que des mots, il évoque avec émotion la détresse qui touche les deux hommes
Son crime de lèse majesté au sein d'une société dont les gens ont pour habitude de juger leurs prochains, les traîner dans la boue sans les connaître, les montrer du doigts parce qu'ils ne sont pas formaté comme eux… Lors du dernier acte, l'exécution de Gino Strabliggi à la guillotine, les différents représentants de la Justice sont convoqués, Eux, l'administration qui a provoqué la chute de cet homme. Nous assistons à une longue séquence de préparation mise en parallèle avec la sécheresse lapidaire montrant la descente de la lame mortelle, en un travelling arrière finissant sur un plan unique glaciale - Comme le décor et le ciel surréaliste de cette prison. La peur, le vide viscéral qui emplit l'estomac, le regard perdu dans limbes… Puis la sentence sinistre qui tombe immédiatement. Voici comment se termine une existence faite de feu et de résurrection à répétition dans laquelle l'ex-détenu aura tout vécu, le pire comme le meilleur, celui-ci n'aura finalement commis qu'une faute impardonnable, celle d'y croire.
Affiche Japonaise |
Outre son coté très politique, c'est également une superbe rencontre. Alain Delon & Jean Gabin se donnent la réplique pour la troisième et dernière fois, constituant ainsi des moments tendres et très émouvants. Leurs dialogues partagés, auxquels ils élèvent toute la puissance qu'ils ont déjà sur le papier par un aplomb que peu d'autres acteurs ont.
Jean Gabin a derrière lui une carrière extraordinaire, comme peu de comédiens ont pu en avoir dans le cinéma Français. Le patriarche confirme une nouvelle fois ce magnétisme qu'on lui connaît. Toujours sans la finesse, il lui suffit de donner un regard, de prononcer quelques mots avec son calme caractéristique pour qu'on lui donne instinctivement crédit. Alain Delon trouve une sensibilité et une jolie repartie qui permet à Deux Hommes dans la Ville de fonctionner.
Nous croisons également de jeunes acteurs en devenir, tels que Bernard Giraudeau - qu'Alain Delon retrouvera dans Le Gitan - et Gérard Depardieu.
A noter la prestation de Mimsy Farmer et la participation de Victor Lanoux dans le rôle du tentateur.
La composition mélancolique et entêtante de Philippe Sarde ne vous quittera jamais plus après la fin de la projection de Deux Hommes dans la Ville.
Oeuvre phare, pivot essentiel dans la carrière de José Giovanni. Son long-métrage est un morceau personnel, touchant dénonçant la peine de mort et l'irréductible processus broyeur des tribunaux. Ce coté socio-politique est un témoignage de la France des années 70 ! Le cinéaste aborde ce sujet délicat traité avec une très grande sobriété, soins et justesse. Quant à sa fin, celle-ci est déchirante de tristesse, vous prendra à la gorge… Une perle méconnu à voir absolument !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire