À la fin des années 60, les Ninkyo Eiga (Film de chevalerie) décline à cause de l'usure du genre et de l'arrivée de la télévision dans les foyers. Grâce à l'avènement de la petite lucarne, les années 70 et le cinéma sont pour beaucoup de cinéaste du monde entier un magnifique espace de liberté et le Japon, n'échappe pas à cette règle.
Avec le gendaigeki (Théâtre contemporain), Yakuza (893) gurrentai de Sadao Nakajima & Guerre des Gangs à Okinawa, de Kinji Fukasaku, grâce à l'impulsion du directeur du studio de l'époque Shigeru Okada, les cinéastes et scénaristes revitalisent les Yakuzas Eigas en voies d'épuisements. Les cinéastes abordent d'une autre manière ces films, en les dépoussiérant et en les rendant plus réaliste avec une vision documentariste, car la plupart du temps les histoires sont basées sur des faits réels : "Jitsuroku Eiga" (Vrai document). Ces longs-métrages satisfont les dirigeants de Tôei Company, dont le producteur Kôji Shundo, qui s'il n'apprécie guère la personnalité de Kinji Fukasaku, reconnaît sans peine son talent.
Ce nouveau genre devient assez populaire auprès du public surtout à partir de 1973, grâce à Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance. Ce film dépeint l'après-guerre du milieu mafieux, l'intrigue se base sur les articles du journaliste Kôichi Iiboshi, ce dernier a réécrit les manuscrits d'un véritable yakuza incarcéré en prison, Kôzô Mino. Ces gangsters deviennent alors aux yeux du spectateur d'impitoyables voyous, le cinéaste et son scénariste Kazuo Kasahara ne les décrivent pas comme les héritiers du code des samouraïs contrairement aux Ninkyo Eiga (Film de chevalerie), ici tous les coups sont permis, pour pouvoir accomplir son ambition personnelle. Le succès est tel qu'il donne naissance à quatre suites, et son interprète principal Bunta Sagawara est propulsé au rang de célébrité sur l'archipel.
"Un ans après la défaite du Japon, un nouveau type de violence a remplacé la sauvagerie du temps de guerre. Les gens ne doivent compter que sur eux même pour défendre leurs vies. Vivre au Japon à cette époque, était plus dangereux que de vivre dans la jungle."
Le manga Nihon no Don, scénarisé par Kôichi Iiboshi, journaliste qui inspira Combat sans code d'Honneur. |
Durant son emprisonnement, - Pour le meurtre d'un yakuza sur le marché noir d'Hiroshima - Hirono Shozo aide son co-détenu Hiroshi Wakasugi, membre de la famille Doi à sortir de prison en l'aidant à se faire seppuku. À sa sortie, Hirono et ses amis rejoignent le petit clan de Yoshio Yamamori. Malheureusement la politique s'emmêle, lorsque ce dernier décide de doubler la famille adverse en truquant le résultat d'une délibération municipale. Une guerre des clans sans merci éclate avec son lot de trahisons commence entre les deux parties…
Premier opus d'une grande fresque ambitieuse qui dépeint le Japon d'après-guerre à la manière de la trilogie du Parrain pour les États-Unis. Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance retrace une décennie - De 1946 jusqu'en 1956. Le cinéaste et son scénariste impliquent le spectateur dans les faits d'actualité majeurs de cette période, nous apprenons ainsi que le chef de clan Yoshio Yamamori a gagné une partie de sa fortune pendant la Guerre de Corée en devenant transporteur d'armement de l'armée Américaine.
Je préfère vous prévenir, ne vous attendez pas à un long-métrage similaire aux long-métrages de Francis Ford Coppola car l'oeuvre de Kinji Fukasaku se classe entre du William Friedkin (French Connection) pour son coté urbain et Martin Scorsese dans le traitement des différents personnages, en pointant la priorité sur les hommes-de-main et non pas sur le caïd.
Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance, est une monté en puissance incandescente des rapports de force entre deux clans se disputant un même territoire. Kinji Fukasaku donne naissance à un sous genre du Yakuza Eiga, le cinéaste dresse un portrait de ses voyous avec une image moins romantique qu'à l'accoutumé. Au revoir le yakuza idéaliste et au grand coeur, ici les différents codes moraux permettent d'asservir la vie de ses acharnés, la loi du plus fort où les trahisons sont légions, l'argent et le pouvoir régissent les rapport humains. Mais ici et là, l'honneur a encore sa place, surtout en façade, instrumentalisée par les plus malins, soit disant au nom de "la famille", mais ils nourrissent en réalité des intérêts personnels. La réalité clanique n'est donc plus qu'une mascarade, une illusion avec des cérémonies rapidement expédiées, et Kinji Fukasaku s'en donne à coeur joie à travers un ton sombre et tragicomique à la fois, comme par exemple la célèbre séquence du coupage de phalange tournée en ridicule.
Pour figurer cette croisée des chemins de cette vie criminelle, se distingue de ce récit la destinée de deux prisonniers devenus frères de sang par la force des choses et qui vont incarner deux visages opposés du milieu. L'un, Hirono Shozo, représente son pendant romantique, respectant l'honneur et le clan au détriment de sa vie - et encore ça dépend : il en a une image biaisée puisqu'il en connaît à peine les règles. Tandis que l'autre, Hiroshi Wakasugi reflète son visage pragmatique.
Le cinéaste dresse un portrait de la pègre d'après-guerre et de ses liens étroit avec les milieux politiques, les forces de l'ordre et les grandes entreprises. Le Japon est en pleine reconstruction, les nombreuses pertes matérielles sont lourdes, et certains hommes d'états ont besoin des clans yakuzas pour arriver à dissuader leurs différents adversaires pour voter des projets immobiliers d'envergure. Le chef de clan Yoshio Yamamori incarne également une belle ordure pleurnicharde qui cache bien son jeu derrière ses manières, et achève de profiter d'un pays affaibli par la guerre.
En se donnant les moyens de ses ambitions, Kinji Fukasaku filme son oeuvre de manière documentaire pour lui conférer une authenticité et un soucis du détail à la fois graphique et figuré donnant beaucoup de force à ce récit mafieux.
A cette fin l'introduction de Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance commence à la manière d'un documentaire montrant des photographies des dégâts causés par la bombe atomique sur la ville d'Hiroshima. La voix Off et les plans empruntés à cet effet apportent un certain crédit à cette histoire qui se base sur des faits réels. Le style réaliste est même animé d'une énergie folle, nous nous rendons rapidement compte du chaos qui sévissait au Japon après la défaite du pays contre les troupes Américaines, d'ailleurs l'une des grandes réussites visuelles est sans doute la reconstitution d'après-guerre : Avec ses vieilles voitures, le marché au noir, le bidonville d'Hiroshima… Pour le reste nous retrouvons la touche du maître : Décadrage, montage épileptique, cadrage de travers… et la caméra embarquée insuffle une grosse énergie, nous mettant au plus près de l'action, grâce à de nombreux plans empreints aux dynamismes. L'ambiance crasseuse d'après-guerre est sublimé par une photographie qui trouve le ton juste.
Le cinéaste choisit de redonner le rôle titre à Bunta Sugawara après Okita le pourfendeur le comédien interprète Hirono Shozo. Ce chien fou diablement expressif monopolise l'écran de sa présence magnétique, à tel point que même quand il est absent, on ne peut s'empêcher de penser à son personnage. Le charisme ça ne s'invente pas…
Les seconds rôles sont également précis, Hiroki Matsukata (Police contre syndicat du crime) en impose avec ses lunettes de frimeur, et a droit a des répliques mémorable : "Le patron est le patron. Dommage que j'en ai choisi un nul". On retrouve également Kunie Tanaka (Le cimetière de la morale) et Tatsuo Umemiya (Tombe de yakuza et fleur de gardénia), la crème des acteurs Japonais !
La composition de Toshiaki Tsushima (Police contre syndicat du crime, Street Fighter) avec ses airs de pop-jazz est très inspiré, de qualité et envoûtante résonnant ainsi longtemps dans nos petits crânes après la projection.
Certainement l'un des plans cultes de la Saga Combat sans code d'honneur, Bunta Sugawara ou le charisme Nippon. |
Combat sans code d'honneur : Hiroshima terre de vengeance, est moins nihiliste que le restant de la filmographie du cinéaste. Kinji Fukasaku trouve le parfait équilibre entre les séquences incontournables du Yakuza Eiga (comme la phalange coupée, les médiations désespérées, l'amitié entre frères de sang infaillible), et rajoute des évolutions, codes visuels qui définissent son propre cinéma, loin des canons des grands maîtres poseurs japonais. Certainement l'un des chef-d'oeuvres des années 70's du cinéaste avec le très anxiogène Cimetière de la morale, à découvrir absolument.
Dernier point, je reprend les paroles de Quentin Tarantino en interview dans les bonus du DVD : « Le seul point négatif dans cette rétrospective Kinji Fukasaku est d'avoir renommé le film en Anglais, "Combat sans honneur et humanité" (Battle without honor and humanity), alors qu'en Japonais son titre est "Jingi Naki Tatakai" (仁義なき戦い). Le mot jingi n'a pas ce sens. Le jingi, c'est quelque chose entre l'honneur et la fidélité. Pour expliquer ça aux gens, je leur dis que quand dans Reservoir Dogs : Orange dit à White « c'est moi l'indic', tue moi ! si tu en as envie avant l'arrivée des flics » c'est de cet ordre. Il se passe entre eux quelque chose de plus que l'honneur et la fidélité, c'est le jingi.».
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