lundi 31 août 2015

Miller's Crossing (1990)

Après l'interlude barge et cartoonesque Arizona Junior, Les Frères Coen transforment l'essai avec Blood Simple, premier véritable coup d'éclat dans leur filmographie. Leur troisième long-métrage Miller's Crossing, écrit par Joel Coen en collaboration avec son frangin, est un pur hommage aux Films noirs. Ce voyage au temps de la prohibition regorge de personnages hauts en couleurs, de paris et de combats de boxe truqués, de whisky de contrebande au goût douteux, et surtout la corruption… Le décors est planté dans cette reconstitution qui possède tous les éléments pour faire vibrer de bonheur les amateurs de Films Noir.

A l'époque de la prohibition aux États-Unis, Johnny Caspar, petit caïd irascible toujours flanqué de son inquiétant bras droit, le dangereux Eddie le Danois, vient se plaindre des agissements d'un certain Bernie Bernhaum auprès de Leo O'Bannion, parrain de la mafia locale. Ce dernier lui interdit de faire justice lui-même sous peine de déclencher une guerre des gangs… 

Histoire à tiroir dans laquelle se balade le sombre Tom Reagan, bras droit du parrain Leo O'Bannion. Le spectateur ne cernera jamais ses réels intentions, ni ses ambitions ? Pourquoi fait-il tout cela ? Pour une poignée de dollars vis à vis de sa dette de jeu ?. Cet homme ambigu ne court pas après l'amour, ni le pouvoir… Il trahit tout le monde et personne à la fois, et sera à l'origine de quasiment toute les morts du long-métrage. Notre héros se montre réellement sans pitié, alors que les deux parrains locaux essayent de diriger cette ville, c'est lui qui joue la partition à la perfection mais en général ce genre de jeu à un but précis : Prise de pouvoir, vengeance ou rédemption, dans Miller's Crossing nous ne trouvons rien de tout ça. Au final, à part rembourser son ardoise, ce petit mafieux aura mené toute cette complexe supercherie pour pas grand chose… La conclusion est même équivoque puisqu'il refuse de retravailler pour son ancien patron, restant adossé à un arbre, remettant son chapeau. Son second chef étant mort, que va-t-il faire maintenant ? Peut-être voulait-il tout simplement sortir définitivement d'un univers qui le lasse mais auquel ce dernier ne peut échapper ?

Miller's Crossing insiste beaucoup sur la symbolique du chapeau - Le plan très poétique annonçant le titre avec cette douce brise dans les bois qui emporte ce mystérieux couvre-chef. C'est en fait un rêve que fait Tom Reagan… Quand Verna, la femme fatale, lui demande s'il court après il répond "Un homme qui court après un chapeau est un imbécile". Cette métaphore pourrait être perçu comme s'accrocher à la vie de gangster c'est foncer droit dans le mur.

Même si Tom Reagan perd souvent son chapeau, celui-ci revient toujours vers lui inéluctablement.


Tout les protagonistes (Les durs à cuire, les mafieux, les patrons de la pègre) sont sensés être moins humain, mais Tom Reagan est finalement bien plus impénétrable et impitoyable qu'eux. Son traitement permet de penser que notre héros est plus moral que ses gens car celui-ci ne veut tuer personne et laisse finalement tout le monde faire le travail à sa place mais lors de la conclusion, il tue Bernie de sang froid.

Finalement on ne sait pas si Tom Reagan a calculé à l'avance son coup ou non, puisque le spectateur a parfois l'impression que ce mafieux a surtout énormément de chance d'avoir des interlocuteurs finalement moins intelligents et malins en face de lui. Les autres personnages sont quant à eux sont aveuglés par leurs bons sentiments, la notions de respect et "de valeurs", "What heart ?" rétorque notre homme quand Bernie lui demande "Where is your heart ?" juste avant de se faire descendre… Les protagonistes les plus touchants sont donc ceux auxquels on s'attend le moins.


La scène d'ouverture rappelle irrévocablement celle du Parrain de Francis Ford Coppola, sauf qu'ici Les Frères Coen y pose leur touche. Johnny Caspar, l'italien mafieux n'est plus assis sur le trône mais se tient en face de l'Irlandais, Leo O'Bannion, et c'est donc le transalpin qui s'énerve, parle d'honneur, d'amitié et tente de charmer son patron qui lui, ne veut rien savoir. Celui-ci est secrètement amoureux d'une femme bien plus jeune, la source de sa faiblesse. Plus tard, on le voit également se défouler à la sulfateuse sur des tueurs venus l'assassiner chez lui mais malgré son âge, il reprend l'arme en main et fait un carnage. Cette scène est justifiée car Les Frères Coen nous montre que ce vieille homme est encore doué avec une arme et qu'il est loin d'être ramolli


Les codes du Film Noir sont subtilement déjoués, mais pas transgressés pour autant, grâce à la touche des deux cinéastes : L'humour absurde et les ruptures de tons. Sur un tel long-métrage ça peut déstabiliser l'ensemble de l'intrigue principale sauf ici, ce traitement permet justement aux réalisateurs de "personnaliser" leur hommage. Cette dérision, en filigrane, omniprésente correspond parfaitement à ce scénario - Variation de Yojimbo / Le Garde du Corps d'Akira Kurosawa. Un récit bénéficiant d'une écriture sans faille, bien équilibrée ou rien ne prend le pas sur le reste. 

La reconstitution de années 30 n'est aucunement tape à l'oeil. Quant à l'atmosphère Film Noir instauré par Les Frères Coen, celle-ci est respectée. Même si ce n'est pas le grand Roger Deakins qui s'occupe de la photographie, on ressent déjà cette volonté chez les cinéastes de se rapprocher de leur futur chef opérateur, à ce sujet le travail effectué par Barry Sonnenfeld est excellent. 


La mise-en-scène sans fioritures des Frères Coen, possède des mouvements de caméra d'une rare virtuosité, avec cette intention de cadrer assez large dans des espaces vastes, voir "vides" dans le bon sens du terme. La gestion des décors et surtout de la hauteur des intérieurs sont superbement maîtrisés, les éclairages posent clairement l'atmosphère, rendant ainsi hommage aux Films Noirs avec quelques plans d'ombres découpées sur des lumières tamisées. Les séquences d'action jouissives ne tombent jamais de la cartoon, et une certaine lenteur très appréciable se dégage de Miller's Crossing, les plans durent souvent - Les scènes dans la forêt sont vraiment belles. Quant à la symbolique avec le chapeau, est-elle un héritage de Jean-Pierre Melville ?.


Gabriel Byrne est l'homme de main du parrain Irlandais. Notre homme est mystérieux  possédant en lui une certaine part de mélancolieC'est un véritable truand, toujours sur le qui vive, malgré son assurance celui-ci s'en prend plein la tête mais notre héros ne perd jamais pied sauf une seule fois. L'interprétation brillante du comédien rend Tom Reagan charismatique, et son regard en dit long… Nous retrouvons des habitués du cinéma des Frères Coen comme John Turturro génial de pathétisme, le spectateur se rend compte que ce personnage sans envergure au début s'avère être l'ennemi le plus redoutable de notre héros et Jon Polito, mémorable chef de famille Italienne qui vante les mérites de la fratrie. A noter la brève apparition de Steve Buscemi dans le rôle de Mick.

Albert Finney tire son épingle du jeu, au début Leo O'Bannion est un peu vu comme le patron mafieux amoureux de la femme fatale, qui n'est rien sans ses gardes du corps mais cette impression est rapidement évacuée lors d'une scène monumentale où il va jouer de la Thompson comme personne. N'oublions pas J.E Freeman en terrifiant homme de main, toutes scènes valent le détour, le comédien en impose tellement que ça devient jubilatoire à chacune de ses apparitions.


La composition de Carter Burwell est certes très classique, voir en retrait, mais les images du long-métrage ne se soustraient jamais à ses mélodies. Ses thèmes ne font qu'accompagner doucement Miller's Crossing en lui donnant un coté mélancolique et d'autres morceaux sont très sombres. Le mélomane nous offre même un air assez poignant, bourré d'émotions marquant ainsi un certain décalage avec l'oeuvre.


L'oeuvre des Frères Coen s'amuse avec les codes du Film Noir. Gabriel Byrne est affublé d'un imperméable, d'un chapeau comme les détectives privées du genre. Ce héros est le pilier de l'intrigue, rendant visite aux protagonistes en les questionnants comme si notre homme était un enquêteur alors qu'il n'est finalement rien.


Le scénario sous-entend clairement que ce genre d'individu - ceux qui susurrent à l'oreille des chefs - sont les plus dangereux, les plus malins et les plus froids. Même la femme fatale parait désarçonnée par Tom Reagan. Les Frères Coen offrent aux spectateurs un cocktail détonnant d'humour et de noirceur avec ce Néo-Noir clairement atypique et très personnel. Miller's Crossing marque presque une première rupture dans la filmographie des deux cinéastes…

Affiche réalisée par Mgelen

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