lundi 28 juillet 2014

Yakuza (1974)

 
Alors que le cinéma Américain et Japonais connaissent de profonds changements avec l'avènement du nouvel Hollywood pour l'un et la chute des grands studios Nippons pour l'autre. Voici que sort sur les écrans en 1974, Yakuza, ce long-métrage incarne un modèle parfait d'hybridation entre l'occident et l'orient, grâce à ces différents scénaristes impliqués dans sa conception : Leonard Schrader, Paul Schrader & Robert Towne

Les deux premiers connaissent la culture Japonaise et la respectent. Leonard Schrader écrira ainsi The man who stole the sun, long-métrage considéré comme la naissance du cinéma indépendant Nippon. L'auteur travaillera également dans les années 80, avec son frère Paul Schrader, sur un biopic de l'écrivain Yukio Mishima. Quant à Robert Towne, scénariste de Chinatown de Roman Polanski, ce dernier est considéré comme l'un des maîtres du Film Noir à l'Américaine.

À la base, la naissance du projet vient d'une idée de Leonard Schrader. Avant que les frères ne deviennent scénaristes, Leonard à vécu cinq ans au Japon, où il enseignait l'anglais. Lorsqu'il retrouve son ainé, celui-ci eu l'inspiration pour ce récit de yakuza. Aidé par Paul, ils écrivent une première ébauche, puis Robert Towne apporte la touche finale. Au départ Martin Scorsese devait réaliser Yakuza, mais Paul Schrader le vexe en s'y opposant - Il lui écrira quelques années plus tard l'un de ses chef d'oeuvre : Taxi Driver.

Les trois hommes livrent donc un polar parfaitement ficelé que Sydney Pollack - Cinéaste imposé par Robert Mitchum à la place de Robert Aldrich (Vera Cruz, Les douze Salopards) - décide de mettre en scène avec, à ses cotés une équipe technique principalement constituée de Japonais venant des studios de Tôei Company. Outre Warner BrosYakuza est également produit par Kôji Shundo, ponte important de l'entreprise Nippone et proche du milieu mafieux.

Détective à la retraite, Harry Kilmer se rend au Japon pour délivrer la fille de son ancien ami George Tanner, enlevée par un chef yakuza de Tôkyô du nom de Tôno Toshirô. L'ancien privé redécouvre un pays qu'il a bien connu vingts ans plus tôt, pendant l'après-guerre lors de l'occupation Américaine. Ce dernier retrouve la femme qu'il a tant aimée… ainsi que son frère un ancien voyou retiré des affaires.


Le long-métrage s'ouvre sur un texte expliquant la définition du mot "yakuza" : 

"La kana Japonais est composé des chiffres huit, neuf et trois qui totalisent vingt. Un chiffre perdant au jeu. Par une sorte de fierté perverse, c'est ce nom que se donne les gangsters Nippons. Le yakuza a vu le jour au Japon il y a plus de trois cent cinquante ans avec ses joueurs, ses escrocs et ses marchands de foire ambulante. On dit qu'ils protégeaient les pauvres des villes et des campagnes des bandes de nobles en maraude. ils le faisaient soit disant avec courage et un talent inégalé. Jusqu'à présent, le yakuza est fidèle à son code d'honneur aussi rigoureux que le code du bushido du samouraï."

Grâce à cette introduction et précision culturelle, le cinéaste et ses scénaristes prouvent leur respect évident pour ce pays et des différents codes qui le parcours, sans jamais en faire trop. Car Yakuza dévoile un pan d'une culture méconnue pour le grand public occidental (et Américain). Sydney Pollack prend son temps pour poser son intrigue et présenter ces différents personnages, évitant ainsi toutes les caricatures grossières, et les plans cartes postales sur les cerisiers en fleurs, les temples bouddhistes ou des clichés sur le Shinjuku nocturne. Même si ce Japon reste fantasmé par les frères Schrader bercés aux Ninkyo Eiga (Film de chevalerie) de Tôei Company, qu'ils ont consommé sur place. (Sans avoir eu le temps de prendre en compte la vague Jitsuroku (Vrai document) et La saga des combats sans code d'honneur, de Kinji Fukasaku, contemporain au film de Sydney Pollack). D'ailleurs Paul  Schrader consacrera un essai au Yakuza Eiga, qui malgré quelques lacunes reste l'un des écrits occidentaux de référence sur ce genre.

Une certaine vision d'un Japon très proche de la saga Brutal tales of Chivalry, ou l'on peut facilement imaginer Robert Mitchum dans le rôle de Ryô Ikebe. Clin d'oeil ou référence que l'on retrouve quelques années plus tard dans Mishima réalisé par… tiens donc, Paul Schrader - Le cinéaste fera chanter au groupe dans la voiture le thème des Brutal Tales of Chivalry et Ryô Ikebe fait même un caméo dans le film.
Affiche Japonaise

Harry Kilmer, incarné par Robert Mitchum se rend à Tôkyô puis à Kyoto, pour retrouver un yakuza, interprété par Ken Takakura, dont il a aidé la soeur vingt ans plus tôt, pour lui demander une faveur : Sauver la fille d'un ami, enlevée par un autre yakuza, suite à une vente d'arme qui a mal tourné. Ce qu'il ignore, c'est que Takakura Ken s'est retiré du milieu de la pègre, en l'aidant, il se met en danger et risque de placer sa famille dans la même position.

Toutes les valeurs de la société Japonaise alors menacées par l'américanisation sont ici évoquées : L'honneur, l'importance des dettes, de la fidélité de la famille et de l'amitié. Un concept d'engagement et de sacrifice, qui évoque également le contraste entre les valeurs traditionnelles Nippones et occidentales. 


On retrouve donc dans Yakuza, l'attrait du code d'honneur pour le jeune gangster Américain déchiré entre sa loyauté, le rapport de force et d'obligation entre yakuzas, les règlements de compte sanglants, la jeune génération entraînées malgré elle dans l'engrenage des conflits de leurs aînés et la fascination des femmes Japonaises sur le mâle occidental.


Dans ce Tôkyô moderne, le personnage d'Harry Kilmer dégage une certaine mélancolie pour ce Japon d'après-guerre, lui qui faisait partie des MP (Police militaire) sous l'occupation Américaine. Le marché noir est évoqué lors d'une conversation, pour survivre la population étaient obligées d'y aller, cet endroit était contrôlé par les yakuzas. Toutes les classes sociales se retrouvaient donc là bas pour travailler ou vendre leur bien afin d'acheter de quoi subsister. Les habitants ne ressentaient moins de rancoeur que de rancune de la part de la mafia locale car ces derniers leurs procuraient ce dont ils avaient besoin pour vivre. 

Quelques références à la culture populaire sont visibles ou dissimulées pendant le film (pour certaine il faut avoir l'oeil). Quand Harry Kilmer, Ken Tanaka & Dusty donnent l'assaut dans la maison occupée par les yakuzas du clan Tôno pour récupérer la fille de Tanner. L'un des gangsters lit un manga pendant que ses partenaires jouent au hanafuda (Jeu de carte Japonais). Également, lors d'une balade nocturne de Robert Mitchum, on aperçoit une bannière sur un immeuble faisant la promotion de Golgo 13, célèbre personnage crée par Takao Saitô.


La mise-en-scène de Sydney Pollack est au diapason offrant un CinémaScope superbe et des idées directement issues des classiques Japonais du genre, ainsi le cinéaste se montre respectueux tant du Film noir Américain que du Yakuza Eiga

L'équilibre parfait entre imagerie pop, respect du genre et occidentalisation est atteint lors d'une séquence mémorable, qui voit les deux hommes affronter à eux-seul une vingtaine d'adversaires, le réalisateur gère parfaitement son rythme, alterne ses plans en plongées de Takakura Ken armé de son sabre, encerclé d'adversaire lors du final, tandis que Robert Mitchum se fraye un chemin à coups de shotguns, ou ce tranchage de bras bien graphique lors du sauvetage de la fille de George Tanner. Le metteur en scène rend clairement hommage à certains classiques comme La vie d'un tatoué de Seijun Suzuki, et au maîtres du genre de Kinji Fukasaku. Cette séquence importante entre western, polar et chambara permet de rapprocher ces deux personnages, liés par une amitié traitée avec une justesse rare.

Le directeur de la photo est Kôzô Okazaki, qui travailla avec entre autre Hideo Gosha, Kon Ichikawa & Kenji Mizoguchi. Le talent de cet artisan explique sans doute en grande partie la réussite des séquences de jeu et des combats aux sabres.



Le duo de comédien fonctionne à merveille. Robert Mitchum aux allures de Philip Marlowe, est ici convaincant dans ce rôle d'homme usé par la vie, mais l'acteur Américain se fait voler la vedette par le stoïque Ken Takakura, légende du cinéma Japonais dont le charisme crève l'écran.

La musique aux airs jazzy de Dave Grusin colle parfaitement à l'ambiance. 

Yakuza est la preuve qu'il est possible d'allier la culture du Film Noir Américain ("néo noir" plus particulièrement ici) et le Yakuza Eiga en évitant de tomber dans les stéréotypes ou autres caricatures. Le long-métrage est écrit de manière subtile par des fins connaisseurs en la matière, les frères Schrader. Ce film est une jolie surprise, que je conseillerais autant aux aficionados du Japon qu'aux amateurs de polars d'Outre Atlantique.

Affiche Japonaise

Affiche Turc

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