lundi 6 août 2012

Total Recall (1990)

 
Après le succès mondial de RoboCop, Paul Verhoeven, surnommé l'Hollandais violent, se retrouve catalogué à Hollywood comme "cinéaste d'anticipation". Il reçoit ainsi de nombreuses propositions des studios et des sociétés de productions Américaines mais aucun projet ne trouve grâce à ses yeux, le réalisateur Européen fraîchement débarqué sur le sol Américain n'est pas particulièrement attiré par le genre, pourtant enfant il dévorait des romans pulp de Science-Fiction et autres comics-book.

Lorsque le scénario de Total Recall arrive entre les mains de Paul Verhoeven, il s'agit déjà de la 41éme version du scénario. Au milieu des années 80, le projet passe entre Walt Disney Company à Dino De Laurentiis ! Des cinéastes comme Richard Rush (Color of night) ou encore Bruce Beresford (Miss Daisy & son chauffeur) sont pressentis pour le mettre en scène… Si bien qu'au bout d'une quinzaine d'années de Development Hell, une aura de projet maudit entoure ce futur long-métrage

La première esquisse du scénario est écrite par Dan O'Bannon & Ronald Shusett. Ces derniers ont acquis en 1974 les droits d'adaptation pour la somme dérisoire de mille dollars d'une nouvelle de Philip K. Dick, "Souvenir à vendre" parue dans la revue Galaxy. Romancier Américain notamment célèbre pour l'adaptation de son roman, "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques" plus connu au cinéma sous le nom Blade Runner, chef-d’œuvre du "7éme Art" et de la Science-Fiction réalisé par Ridley Scott. Ne parvenant pas à faire fonctionner leur récit d'anticipation, les deux écrivains arrête de travailler dessus un moment pour signer Alien, le huitième passager. Ils reviennent ensuite sur le projet, parviennent à finaliser une première monture, envoyant ainsi le héros Doug Quaid sur Mars, ce qui n'est pas le cas de la nouvelle d'origine. Mais les deux hommes peinent à finaliser un troisième acte satisfaisant. Tandis que les deux plumes écrivent Réincarnation de Gary Sherman, les deux hommes se replongent régulièrement sur ce projet qui leur tient à cœur jusqu’à ce que leurs visions diffèrent et que Dan O'Bannon jette l'éponge. Ronald Shusett le développe alors seul pendant un an pour Walt Disney Company, mais les différentes versions qu'il remet au studio sont rejetées, toujours à cause d'un dernier acte bancale.

Arnold Schwarzenegger, Sharon Stone & Paul Verhoeven.


En 1982, le nabab Dino De Laurentiis prend une option sur Total Recall. Richard Rush (Color of Night) est pressenti pour la réalisation, mais il s'oppose au producteur Italien qui souhaite ramener l'action sur Terre pour d'évidentes raisons budgétaires. Fred Schepisi (La Maison Russie) est alors approché, mais sa vision psychologique déplait à la production, le cinéaste est alors rapidement "remercié". Le scénario reste sur les étagères jusqu’à ce que David Cronenberg reprenne Total Recall. Avec Ronald Shusett, ils forcent l'aspect comique en faisant une quasi-parodie de Film Noir. Le projet commence enfin à avancer, des plateaux sont réservés, les Production-Designers travaillent sur les décors et les différents effets visuels. Pour la tête d'affiche  Richard Dreyfus & William Hurt sont approché pour interpréter Doug Quaid. Mais le cinéaste fait volte-face et décide de reprendre de A à Z le scénario. Sa vision et celle du scénariste diffèrent alors complétement et leur collaboration se transforme en bras de fer. Leur relation est d'autant plus conflictuelle lorsque l'on sait que David Cronenberg considère Alien, le huitième passager comme un plagiat de ses premières œuvres Canadiennes. Sa version, où Doug Quaid complétement schizophrène subit des mutations à chaque changement de personnalité, est jugée trop sombre et excentrique par Dino De Laurentiis. Au bout d'un an de travail et une douzaine versions, le cinéaste quitte le projet qui est à nouveau enterré, deux mois à peine avant le début du tournage.

Ronald Shusett ne désespère pas et se remet au travail avec Steven Pressfield  (Freejack). Les deux scénaristes trouvent l'idée de la terraformation de Mars qui offre à Total Recall une intrigue enfin satisfaisante. Bruce Beresford, (Miss Daisy & son chauffeur) est alors engagé pour la réalisation, grâce au succès de Dirty Dancing le comédien Patrick Swayze, est envisagé pour Doug Quaid. Nous sommes en 1987, l'acteur s'entraîne physiquement, la fabrication des décors est lancée, le cinéaste et sa plume apportent les dernières modifications au scénario… Mais à cause de l'échec de Dune, Dino De Laurentiis abandonne l'idée de produire ce projet suite à la mise en faillite de sa société.


Une rumeur de malédiction commence à planer sur Total Recall... Mais c'est sans compter sur l'espoir providentiel d'Arnold Schwarzenegger ! Le comédien avait été approché une première fois par Dino De Laurentiis mais son cachet était trop élevé pour la production. L'intrigue avait tapé dans l'oeil de Schwarzy et c'est avec un certain intérêt qu'il continuait de suivre les pérégrinations du scénario. Après la faillite du producteur Italien, "Le Chêne Autrichien" contacte Carolco Pictures en leur proposant de monter le projet. La société de Mario Kassar rachète alors les droits et accepte la condition de sa "star" : "Que ce soit Paul Verhoeven derrière la caméra". Le cinéaste, Ronald Shusett & Gary Goldman (Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin) peaufinent la dernière version du scénario et débloquent les quelques nœuds restants du troisième acte. l'Hollandais Violent dispose en effet d'un budget conséquent de soixante-cinq millions de dollars, équivalent de celui d'Abyss ou d'Alien 3, tournés à la même époque, RoboCop  ayant coûté pour sa part treize millions de dollars. Une somme étonnante au vu de la complexité de ce récit de Science-Fiction schizophrénique et ultra-violent. Le cinéaste s'entoure à nouveau d'une partie de l'équipe de RoboCop : Le chef opérateur Jost Vacano, le chef décorateur William Sandell et le grand Rob Bottin pour les maquillages et s'adjoint la participation de Ron Cobb (Aliens, le retour, Les Aventuriers de l'Arche perdue, Abyss...) pour la conception graphique.

Ce Voyage à travers les affres du scénario montre que Total Recall aurait pu avoir des visages très différents : D'une quasi-parodie de Blade Runner à un délire mental autour de la schizophrénie, la trame de la nouvelle de Philip K. Dick s'invite à toutes les réappropriations. Mais il est vrai qu'à sa lecture, on est loin d'imaginer un actionner ultra-violent avec
Arnold Schwarzenegger.
 

2048, Doug Quaid est hanté par des cauchemars se déroulant sur Mars. Sa femme Lori s'efforce de dissiper ses visions. Un jour, notre homme s'adresse à la société Rekall, pour vivre son rêve grâce à des implants mémoriel. L'expérience dérape, mais ce dernier apprend qu'il a bien séjourné sur la planète rouge, démarre alors une véritable chasse-à-l'homme, conduit par une mystérieuse société...

Total Recall est d'abord le fruit d'une rencontre : Arnold Schwarzenegger  star du cinéma d'action bodybuildée au faîte de la reconnaissance publique, et de Paul Verhoeven  réalisateur au goût prononcé de la provocation et de la violence débridée au service d'une critique acerbe et cynique contre l'administration Américaine, et d'un divertissement presque sans limites qui joue avec les limites de la censure. Il s'agit aussi de l'adaptation d'une nouvelle de Philip K. Dick avec l'un de ses thèmes favoris : la schizophrénie où se traduit une frontière ténue entre rêve et réalité.

Dès le générique le ton est donné, lettres noires sur ligne rouge, la musique de Jerry Goldmisthaccompagnée des percussions de Conan le barbare, nous voilà propulsé sur Mars. Le spectateur impuissant assiste à l'une des plus évocatrices scène de suffocation du cinéma.

Paul Verhoeven a su parfaitement retranscrire, les doutes qui assaillaient Philip K. Dick, à propos de la réalité. Le long-métrage explore les voies du paradoxe entre la réalité & le rêve et ne nous propose aucune solution. Où commence le rêve ou s’arrête la réalité ?! Le film est-il bien un rêve ou la réalité ?! Le rêve aurait bien été implanté dans la tête de Quaid, mais ce dernier refusant de prendre la pilule rouge, continue de vivre son fantasme jusqu'au bout ?!

La schizophrénie est un des thèmes récurent dans l’œuvre du romancier, le dédoublement de personnalité, est bien évidemment au cœur de Total Recall, à la fois psychologique : Doug Quaid l'humaniste, l'ouvrier de chantier qui se rêve de devenir "agent secret", face à son double Hausser, le manipulateur, le salaud associé de Cohaagen. La carrure monolithique d'Arnold Schwarzenegger aide parfaitement cette dualité et ses mises en situation, tantôt paumé idéaliste, salaud ou un "James Bond", écrasant ses adversaires sur son passage, à l'aide de ses gadgets. Le long-métrage de Paul Verhoeven joue donc sur les faux-semblants, dans cette quête de personnalité, Douglas Quaid la créature de Hausser, peut-elle s'affranchir de son créateur ?


La schizophrénie est également physique comme Kuato, chef de la rébellion Martienne, vivant dans les entrailles d'un hôte humain. Autres cas de trompe l’œil visible, cette femme dont la tête s'ouvre pour révéler notre héros, ou encore ce chauffeur de taxi cachant sa mutation avec sa fausse main. La réalité est faussée sur Mars plus particulièrement à Venus-ville, endroit où vive les mutants, être perçu comme des monstres au yeux de la population locale, ces créatures sont victimes, du véritable monstre de la planète rouge : Cohaagen. Véritable dictateur qui cache le salut de tous, pour préserver ses intérêts personnels, comme souvent dans son cinéma le cinéaste Hollandais, en profite pour formuler une critique acerbe et cynique, de la société Américaine et de son administration. La société de l'homme d'affaire, détient le monopole de l'air, charge évidente, aux sociétés internationales tentaculaires, déshumanisées détenant le monopole des ressources.

Le génie de la mise en scène de Paul Verhoeven réside dans cette ambiance onirique qui laisse encore planer le doute, vision après vision. Nous retrouvons le goût prononcé du cinéaste pour la provocation et de la violence débridée, jouant ainsi avec les limites de la censure. Total Recall n'échappe pas à cette règle. La violence est graphique, le sang coulant souvent à flot, avec des dommages collatéraux.


La réalisation de Total Recall est bien découpé, avec une alternance bien dosée entre les scènes d'action qui défouraillent et d'autres plus calmes. Il est difficile de s'ennuyer, et il y a beaucoup de séquence jouissives telles que la découverte des gadgets de l'agent-secret puis leur utilisation, et la manière dont Doug Quaid expédie ses soit-disant amis en enfer !. Les civils s'en prennent plein la figure, victimes de tirs croisés - Alors que d'habitude ils évitent miraculeusement les balles. Pour le montage, l'action est toujours très lisible on ne s’ennuie jamais. Puis il y a aussi des punchlines gratinées : "Mais nous sommes mariés" ... Bang .... "Je demande le divorce !". Et le langage à deux niveaux (exemple : Le plan qui fait suite à la première scène torride, avec le mixeur à milshake), qui apportent un second degré bienvenu et ajoutent au plaisir (coupable ?).

Effet-spéciaux et maquillage, réalisé par Rob Bottin.

Les effets-visuels à l'ancienne utilisent des maquettes, du maquillage comme la devenue culte, femme à trois seins. Ceux-ci n'ont pas trop vieilli. Total Recall est certainement un des derniers films d'une espèce révolue de Blockbuster aux effets-spéciaux manuels, nous sommes en 1990, Terminator II : Le Jugement Dernier & Jurassic Park sonnent l’ère du numérique. Le level-design accentue ce côté de bric et de broc de la colonie Martienne, construite par ses ouvriers colons, avec la poussière et la crasse, dans des galeries ou l'air se raréfiePaul Verhoeven nous livre donc une vision de Mars plutôt crédible, terre de colonisation aride aux couleurs ocres qui n’est pas sans rappeler les étendues désertiques des westerns, nimbée d’une atmosphère rouge.

Le sang qui gicle, les os qui craquent, les corps qui explosent, les punchlines second degré qui fusent, il n’y a aucun doute, nous sommes bien dans un film de Paul Verhoeven, le troublions anti-politiquement correct du cinéma qui a su également s’entourer pour l’occasion, du casting "idéal".

Outre un Schwarzy excellent en héros humaniste à double visage. Nous retrouvons, Sharon Stone en ravissante petite garce faussement candide, la comédienne reste crédible pour ses scènes de combat grâce au montage. Michael Ironside impérial comme souvent dans un rôle de bad-guy énervé, voir déjanté qui lui va comme un gant. Et Ronny Cox (RoboCop) interprète l'homme d'affaire corrompu Cohaagen.

Cette adaptation d'une nouvelle de Philip K. Dick cache sous ses airs de Blockbuster violent une œuvre à double identité, à la fois un divertissement impressionnant et profondément intelligent. Total Recall de Paul Verhoeven sonne hélas le glas d'une époque, avec des effets-spéciaux à l'ancienne, et une violence graphique que l'on voit peu de nos jours ! Un film phare de Science-Fiction aux apparences trompeuses, entre rêve & réalité...

Affiche hommage designer par Tyler Stout
      

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