mardi 25 août 2015

Un témoin dans la ville (1959)


Polar Franco-Italien, et troisième long-métrage signé Edouard Molinaro, cinéaste surtout connu pour ses comédies populaires dans les années 70 dont la plupart sont des adaptations de pièces de théâtre comme L'Emmerdeur écrite par Francis Veber avec Jacques Brel & Lino Ventura ou Oscar avec Louis De Funès.

Le scénario est écrit par Gérard Oury & Boileau-Narcejac. Si le premier est célèbre pour ses succès comiques au cinéma dans plusieurs années avec La grande Vadrouille, La folie des grandeurs ou encore Le corniaud. Pour l'autre il s'agit en réalité d'une signature commune, celle de Pierre Louis Boileau et Pierre Ayraud dit Thomas Narcejac, deux écrivains de romans policiers, dont certains ouvrages ont donné lieu à des adaptations cinématographiques par Henri-Georges Clouzot pour Les Diaboliques & Alfred Hitchcock avec Sueurs Froides.



Un nommé Verdier tue sa maîtresse en la jetant d'un train. L'homme bénéficie d'un non-lieu au "bénéfice du doute". Il s'avère que la victime est l'épouse d'Ancelin, celui-ci décide de se venger. Un soir, le veuf s'introduit chez le meurtrier de sa femme pendant son absence et l'attend patiemment. En le tuant, il maquille son meurtre en suicide. Mais en sortant de la demeure, il est vu par Lambert, un radio-taxi. Désormais un témoin gênant apparaît dans cette lugubre affaire, le tueur maladroit part donc à la recherche du fameux conducteur… 


Dès la première scène d'une rare violence pour l'époque, où une femme est poussée hors d'un train, le spectateur sait d'emblée que l'on se trouve devant le haut du panier. La grande force d'Un témoins dans la ville est son intrigue d'une efficacité redoutable avec cette idée géniale d'un personnage au départ légitime dans ses actes voit la situation se retourner contre lui, le poussant ainsi à adopter un comportement radicale pour tenter de sauver sa peau.

On suit donc Ancelin qui pensait avoir commis le meurtre parfait, tuer de sang-froid l'assassin de sa femme et maquiller sa mort en suicide. Une vengeance légitime dans nos esprits. Mais un malheureux témoin, un "Radio-Taxi" nuiteux tombe nez à nez avec le veuf sortant de la demeure. Notre assassin va donc traquer ce pauvre travailleur qui ne demande rien, n'a fait aucun rapprochement et se moque éperdument du meurtre. Sa seule idée fixe est de flirter avec sa collègue de travail.

Le long-métrage est donc une chasse à l'homme à la fois intense et posée qui s'épargne le moindre bout de gras. Ainsi, hormis les passages sur la vie privée du chauffeur de taxi, nous sommes devant un récit qui ne demande que le minimum d'écriture des personnages et ce pour mieux faire passer l'essentiel. Dans le dernier acte, Ancelin est une bête blessée et traquée par les "Radio-Taxi"... La finalité du récit est en soit prévisible, celle-ci se conclue par la résonance d'une hache heurtant son réceptacle de bois lors d'une exécution publique, radicale et glaciale… Vous laissant le générique pour passer à autre chose.

Toutefois ce récit est parsemé à droite à gauche par des petites touches d'humours fines. Des GI Américains voulant se rendre à l'hôtel Moscou, le conducteur de Taxi refuse car celui-ci a fini sa nuit, les soldats le traitent alors de communiste… La touche Gérard Oury sans aucun doute !

Un témoins dans la nuit est un requiem nocturne, un hommage aux taxis de nuit Parisiens, seuls véritables témoins de ce qui se trame la nuit dans la Ville Lumière. Edouard Molinaro met en lumière ce monde où règne une ambiance familiale et ou finalement l'humeur est plutôt légère, en parfaite opposition avec la quête mortuaire entreprise par Ancelin.

Affiche Italienne
Après-guerre les taxis refont peu à peu surface. Ils sont environs milles dans la capitale en 1945. Deux ans plus tard, le F.N.A.T (Fédération Nationale des Artisans Taxi) devient le seul organisme sous-répartiteur dans ce domaine, se penchant sur les problèmes de réglementation, ainsi en 1948, les conducteurs propriétaires de leur véhicule obtiennent enfin le statut d'artisans. Alors que l'essence est en libre service, le nombre de taxis remonte significativement. A l'aube des années 50, les chauffeurs réclament l'instauration d'une carte professionnelle et l'adoption d'une assurance obligatoire pour tous automobilistes, ainsi que la remise en vigueur de leur subvention sur le gasoil.

La véritable révolution de cette profession vient avec l'avènement des fameux "Radio-Taxi", le premier central d'appel est crée en 1956 à Paris. Les chauffeurs doivent alors obligatoirement s'équiper d'une imprimante à partir de 1959, afin de donner au clients s'ils le souhaitent une facture, appelée à l'époque "Bulletin de voiture". Cette évolution moderne du métier est souligné au détour d'une conversation entre Robert Dalban et l'un de ses confrères n'ayant pas sauté le pas technologique. L'un vient de se lancer dans le "Radio-Taxi" alors que l'autre préfère fonctionner "à l'ancienne" entre l'attente du client et son "pifomètre".

Ces longs-métrages comme ceux de Gilles Grangier, Denys de La Patellière ou Jean Delanoy appelés "Cinéma à Papa" par la bande des Cahiers du Cinéma, dont ses membres deviendront les célèbres cinéastes de la "La Nouvelle Vague", sont des oeuvres qui peuvent être vu aujourd'hui comme un reflet de la société Française de l'époque, tel un documentaire, Un témoin dans la ville n'échappe pas à cette règle.

Pour les Parisiennes et Parisiens, le décor nocturne que constitue notre chère capitale à la fin des années 50 rend les balades en bolides savoureuses, nous baladant dans ses nombreux faubourgs. Nous redécouvrons ainsi la place Pigalle et ses enseignes aux néons multicolores servant à attirer le chaland pour aller voir un spectacle d'effeuilleuses. Quant au sous-sol de la capitale, le métropolitain n'est pas en reste avec ses mythiques couloirs arborés de publicité d'époque comme "Dubonnet", ses wagons deuxième classe, ses portillons automatiques, ses poinçonneurs...

Sur la forme, Un témoin dans la ville est surprenant, l'atmosphère soignée d'un Paris nocturne du plus bel effet, si le long-métrage d'Edouard Molinaro n'atteint pas le niveau des grands cinéastes du Film Noir - Jules Dassin, Fritz Lang, Anthony Mann ou Samuel Fuller. Son oeuvre s'offre le luxe d'avoir plusieurs séquences délicieuses avec en point d'orgue le face à face tendu dans le Radio-Taxi magnifiquement mise en scène et éclairé, les plans sur le visage d'un Lino Ventura impassible donne une ambiance saisissante. De plus filmer des bolides la nuit, permet de se poser pour réaliser de belles ambiances de lumière où les clairs obscurs se plaisent à jouer avec notre perception des choses. N'oublions pas la photographie superbement contrastée d'Henri Decaë - Directeur de la photographie de Jean-Pierre Melville.

Dans ce film implacable on retient évidemment Lino Ventura dans un rôle minimaliste intéressant, tant on s'approche des limites de l'anti-héros. Si l'acte qui lance le récit est fortement compréhensible, la suite joue clairement sur l'instinct de survie du personnage qui ira très loin pour sauver sa peau quitte à perdre l'empathie du spectateur. On suit les tiraillements d'un homme que l'on devine honnête avant de sombrer dans un univers qui n'est pas le sien, en cause la tristesse éprouvée par la perte de sa femme. Un témoin dans la ville est intéressant dans ce traitement d'ailleurs, Ancelin n'est pas sûr de lui, si ce n'est au début lorsque sa vengeance, froide et implacable est mise à exécution avec une rigueur qui laisse présager un bon moment de préparation. Par contre, lorsqu'il se retrouve au pied du mur, pris de court par les événements, c'est la fébrilité et l'hésitation qui remplace la précision chirurgicale de ses premiers gestes, on se demande si il osera assassiner de sang froid ce Radio-Taxi innocent. N'oublions pas la présence de Robert Dalban qui interprète Raymond, un chauffeur de taxi jovial qui a trente ans de maison. Le comédien est l'un "des seconds rôles" les plus représentatif du cinéma Français avec pas moins de deux cent titres. L'acteur connaissait beaucoup de monde et avait ses habitudes au sein de la maison Gaumont.

La bande originale de Barney Wilen, Kenny Dorham & Kenny Clarke à l'inspiration Jazzy chose normale pour l'époque et le genre policier surtout depuis la sortie un an auparavant d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle avec la composition de l'immense jazzman Miles Davis.

Un témoin dans la ville se révèle être une excellente surprise. Le spectateur suit cette longue traque nocturne dans les bas-fonds Parisien. Quant au dernier acte, celui-ci est exceptionnel, rare sont les fins qui embrassent une telle noirceur, de la mise-en-scène à l'ambiance urbaine tout est savamment pensée. Une des mes plus belles découvertes de ces derniers mois, un film qui continu à vous hanter longtemps après sa vision et qui mériterait d'être largement plus connu.  


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